Pour les fonds d’investissement américains, les réformes fiscales de Trump sont un outil de conquête de nos entreprises européennes. Il faut donc s’attendre à une vague de fusions-acquisitions dans les prochains mois. Et les fonds activistes sont à la manœuvre pour déstabiliser nos fleurons nationaux.
Paris, le 29 janvier. La présentation des résultats du groupe LVMH fait salle comble. Comme d’habitude. L’exercice est une formalité pour Bernard Arnault. Il faut dire que les chiffres annoncés sont ébouriffants : des ventes en hausse de 11 % en 2018, pour un chiffre d’affaires de 46,8 milliards d’euros. C’est deux fois mieux que le marché. Et la rentabilité est à l’avenant avec un résultat opérationnel en augmentation de 21 % qui franchit la barre des 10 milliards d’euros. Le résultat net bondit de 18 %. En quelques slides, LVMH offre un démenti cinglant à certains analystes qui ont multiplié les avertissements sur le risque de ralentissement du groupe.
Mais ce jour-là, c’est un démenti très différent que Bernard Arnault tient absolument à apporter. Alors dans les coulisses, les conseillers communication du groupe approchent discrètement les journalistes présents pour les exhorter à poser une question sur la rumeur… LVMH chercherait à déstabiliser un de ses concurrents, le groupe de spiritueux français Pernod Ricard, via le fonds activiste Elliott.
Alors quand finalement une journaliste pose la question, la réponse fuse : « Je ne connais pas ce fonds activiste et n’ai eu aucun contact avec eux« , affirme-t-il, ajoutant que sa famille avait des « relations amicales avec son PDG Alexandre Ricard » et qu’il ne ferait « rien qui puisse le gêner dans les problèmes qu’il peut rencontrer avec ce fonds d’investissement« .
Elliott est un fonds américain qui s’est invité dans le capital de Pernod Ricard en novembre dernier. Il fait partie des plus redoutables fonds activistes, c’est-à-dire des financiers qui cherchent à bousculer les entreprises dans lesquelles ils investissent pour doper le cours de Bourse et empocher une plus-value au passage. Elliott réclame notamment à Pernod Ricard plus de rentabilité et des modifications dans sa gouvernance. Mais pour doper rapidement le cours de Bourse, Elliott propose surtout un rapprochement avec un concurrent, nourrissant ainsi des spéculations sur des schémas de démantèlement entre Diageo et LVMH, tous deux alliés au sein de Moët Hennessy, la filiale de vins & spiritueux du groupe de Bernard Arnault.
Avec l’offensive d’Elliott sur Pernod Ricard, les fonds activistes, plutôt discrets en France, réapparaissent au grand jour. Et c’est la stupeur générale. Car les offensives se multiplient tous azimuts.
Selon l’étude trimestrielle de la banque Lazard, les activistes ont déclenché 247 campagnes à l’encontre de 226 sociétés dans le monde en 2018, essentiellement aux Etats-Unis.
Ces derniers mois, Dollar Tree, la chaîne de magasins discount américaine, vient de subir les assauts du fonds spéculatif Starboard Value, qui lui demande de vendre son entreprise Family Dollar.
Elliott a pris plus de 4 % du capital de la plateforme d’e-commerce Ebay avant de demander la réorganisation de ses activités et d’en vendre certaines afin de doubler sa valeur en Bourse dans les deux ans qui viennent. Bingo. Le titre s’est envolé.
« Les fonds activistes sont passés d’un particularisme américain à un phénomène mondialisé« , remarque le cabinet de consultants Deloitte. Et la France n’échappe pas au phénomène.
En France, on se souvient du fonds TCI, entré au capital de l’équipementier aéronautique Safran en 2017, qui avait réussi à faire reporter le rachat de Zodiac et en diminuer le prix, pointant au passage « l’incompétence » du président du conseil d’administration.
Mais aussi du britannique Amber Capital qui s’en est pris à Suez, Charity Investment Asset Management (CIAM) à Scor ou encore Sterling Strategic Value à Latecoère.
Depuis plusieurs mois, Casino est également la cible de Muddy Waters, un fonds spéculatif spécialiste de la vente à découvert (c’est-à-dire des paris à la baisse).
Les campagnes d’activisme actionnarial sur des sociétés européennes ont en effet doublé en cinq ans (passant de 25 à 58), selon une étude de la banque Lazard.
Et ces fonds « devraient croître de manière significative dans les prochaines années« , explique Deloitte dans une étude. Car ils sont aimantés par les valorisations plus faibles des grandes capitalisations européennes. De plus, ils sont paradoxalement attirés par le renforcement, par l’Union européenne, des règles de gouvernance permettant de rendre les entreprises plus transparentes.
Par ailleurs, l’abondance de liquidités sur les marchés mondiaux a réduit le rendement de la dette et du capital. Du coup, les investisseurs institutionnels plus passifs soutiennent désormais plus fréquemment les campagnes de fonds activistes pour augmenter le rendement de leurs propres placements en actions. Les fonds des « instits » s’ajoutent ainsi aux 200 milliards de dollars dont disposent les fonds activistes.
En Europe, ces grands fonds activistes s’intéressent en priorité à des grands groupes car « plus la cible est importante et plus le potentiel d’obtenir un retour sur investissement est grand, compte tenu notamment du coût élevé des campagnes » indique Deloitte.
Ils sont rejoints par des fonds de plus petites tailles comme Charity Investment Asset Management (CIAM) qui vient récemment d’essayer, en vain pour l’instant, de « secouer le cocotier » chez le réassureur SCOR après avoir tenté, notamment, de déstabiliser le fondateur du petit groupe de cosmétique Alès groupe.
Faut-il interdire ces fonds activistes ?
Pour Deloitte, la force des activistes est d’avoir « un regard extérieur sur l’entreprise cible » qui permet d’adopter « une démarche purement analytique et calculatoire et de pointer les opportunités d’amélioration restées inexploitées de l’entreprise« . Mais au-delà de propositions sincères, certains peuvent aussi avoir recours à la diffusion de rumeurs destinées à déstabiliser une société et son cours de Bourse.
Mais ces fonds poussent aussi les entreprises à mieux verrouiller leur capital et à éviter de faire des mécontents parmi leurs actionnaires. Notamment en anticipant certaines exigences légitimes de création de valeur. Ils obligent surtout les patrons à identifier les enjeux d’amélioration qui pourraient mener à des polémiques publiques coûteuses si rien n’est fait.
Mais en France, l’activisme passe mal. L’État français craint la menace que font peser ces actionnaires à court terme sur les fleurons français. Nicolas Dufourcq, le directeur général de Bpifrance préconisait, début 2018, la mise en place d’une enveloppe de 3 milliards d’euros pour lui permettre de protéger les entreprises françaises des raids étrangers. Il pointait du doigt les objectifs délirants de retour sur investissement de ces fonds qui se font au détriment de la croissance à long terme.
Les observateurs critiquent aussi la stratégie de vente à découvert des fonds qui déstabilisent profondément les entreprises, comme celle de Muddy Waters qui a fait chuter le titre Casino.
Mais de nombreuses études montrent que l’impact de l’activisme actionnarial sur la rentabilité des cibles est plutôt positif non seulement à court terme, mais également à moyen et long terme, comme ce fut le cas pour Danone ou pour Vivendi-Télecom Italia.
La meilleure défense contre ces fonds ne se trouve donc pas dans la protection de l’État et son patriotisme économique, mais bien au sein de l’entreprise et de son management : sa gestion doit être irréprochable. Ceci est d’autant plus vrai que le capital de l’entreprise est dispersé.
Car selon Laurent Burelle, président de l’Association française des entreprises privées, cité sur le site TheConversation, « il faut s’attendre à une montée en régime des investissements et acquisitions de sociétés en Europe et en France. En effet, la réforme fiscale du président Trump et sa quasi-amnistie fiscale ouvrent la voie au rapatriement de plus de 3 000 milliards de dollars logés dans les filiales des groupes américains, au sein de paradis fiscaux. La réforme de Trump est un outil de conquête de nos entreprises ». Selon lui, il faut s’attendre à une vague de fusions-acquisitions en 2019-2021.
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